Surréalisme aérien

Œuvres figuratives. Recherches d’apesanteur. Période des carcasses et de l’être humain face à l’univers non décrypté.
Peintures à l’huile. Formats variables.

Passer des « Métamorphoses reitabasiennes », œuvres de jeunesse, au « Surréalisme aérien » ne fut pas un choix mais une évolution naturelle. Je me glissais dans les méandres de l’inconscient, explorant l’inconnu afin de décrypter d’autres possibles sphères sensibles.

J’étais attentif aux théories et aux pratiques des Surréalistes, à savoir leur refus sans appel d’une représentation traditionnelle de la nature, leur rupture avec l’exploitation des images stéréotypées et leur volonté de n’exploiter que le rêve, l’imaginaire, le hasard et les hallucinations. Leurs sources d’inspiration, terreaux de création, ne pouvaient que me convenir. Comment ne pas être, comme eux, sensible à l’œuvre de Chirico ou d’Arcimboldo, peintres visionnaires et étranges, et à la peinture délirante d’un Jérôme Bosch ? Si chacun des artistes surréalistes avait ses thèmes bien définis, ils avaient tous puisé dans les profondeurs abyssales de l’inconscient, sources inépuisables.

Mes recherches se firent sans heurt, passant de la représentation des éléments de la nature à leur absence. Peu à peu, je dégageais la présence humaine sans les attributs conventionnels de la réalité. En 1971, le peintre Roger Toulouse écrivait : Il manquait à notre peinture contemporaine ce Pivot, ce Moment où l’individu conscient ou inconscient se reconnaît Élu ou rejeté. Sans cesse Gilbert Sabatier reprend ce thème : […] en d’interminables cortèges aux corps de cristal, les longs défilés surnaturels rencontrent des bâtisses d’éclatement ou de débris « aciérés » et sanglants. Rencontre avec les plaques de métal voltigeant entre ciel et terre, rencontre avec les tours de Babel et d’Hiroshima. Partout règne l’Absolu, pareil aux « buissons ardents » que peignaient les artistes du Moyen Âge […].

Équilibré, heureux de vivre et en bonne santé, je ne tombais pas, pour stimuler mon inspiration, dans un univers tributaire d’instincts, de pulsions libidinales ou de transes hypnotiques. Par un langage métamorphique, je voulais mettre en évidence les souvenirs enfouis dans mon inconscient. Je tentais de les concrétiser non sur la terre mais en apesanteur et dans la stratosphère. En exploitant ce labyrinthe complexe qu’est le cerveau, mon travail s’orienta vers la condition humaine face à un univers mystérieux. La représentation de la nature et des architectures créées par l’homme disparut au profit d’atmosphères d’interrogations. Ce dernier y avait souvent comme compagnons solitude et doutes.

Les êtres humains représentés dans mes tableaux et mes gravures émergeaient du plus lointain de mon enfance. Mes rêves étaient envahis par d’étranges visions : des hommes et femmes se soulevaient, perdaient toute enveloppe charnelle et se déplaçaient dans l’espace. Je crois pouvoir relier ces images fantomatiques à l’invasion japonaise en Indochine, où je suis né, et aux massacres dont j’ai encore le souvenir.

Mes tableaux représentaient des danses dans des cieux non définis. Voiles et nuages chargés d’insondables énigmes en furent le décor, parsemé d’architectures éclatées, aciérées et déchiquetées. Je montrais des corps nus et translucides par groupes isolés ou grappes de solitude, des tours branlantes et des carcasses de bateaux, des structures gothiques de la verticalité, des lances d’agressivité ou encore des instruments de musique, traces d’un paradis perdu. Des outres transportaient des âmes tourmentées vers un lointain chargé de menace. Des ténèbres dévoraient progressivement les éthers d’espoir.

Je représentais l’homme comme se souvenant de tous les cataclysmes du passé et ne pouvant qu’appréhender le futur. Je voulais les visages sans expression, comme tétanisés par la Révélation. Le mélange de formes courbes et de surfaces et volumes à base de lignes tranchantes accentuait l’opposition entre l’harmonie et le désordre. La dynamique du devenir de l’homme y demeurait incertaine.