Recherches sur le temps suspendu.
Peintures à l’huile. Petites et grandes toiles.
Comparée au « Surréalisme aérien », cette nouvelle période ne constitua pas une rupture mais témoigna de ma vision plus sereine des êtres humains face à leurs interrogations métaphysiques. Excluant toute base scientifique, mon interprétation était synonyme de l’acceptation d’un temps humain quantifiable et d’un temps divin infini. Cependant, j’ouvrais des fenêtres sur de possibles espaces d’intemporalité.
En arrêtant ou en freinant la mécanique cosmique, je me demandais si les hommes pouvaient accéder à l’éternité tout en se délivrant de l’ordre conçu par le Grand Architecte. En comprimant notre durée biologique à la seconde et l’univers au siècle, je glissais dans ces horloges des pauses. Ces dernières gommaient l’espace et la durée. Toutefois, je ne reniais pas le temps. Je le suspendais et me l’appropriais en soudant passé, présent et avenir. Je récusais un avant et un après Big Bang. Mes pas n’empruntaient plus celui du dieu Chronos : pas de commencement ni de fin.
En lisant, en écoutant de la musique ou en regardant des photographies, je sentais toujours la présence physique des personnages fictionnels et de leurs créateurs. Combien de fois me suis-je laissé emporter par une symphonie du XIXème siècle et ai-je éprouvé le retour à la vie de mes compositeurs de prédilection ? Peu à peu, l’idée me vint de possibilités de résistance au temps. La représentation de mes fantasmes changea. Mes personnages redevinrent des êtres de chair. Leur spiritualité et leur compréhension de l’infini les faisaient paraître moins translucides. Ils se retrouvaient dans des sphères d’humanité. Leurs angoisses disparaissaient, laissant place à la sérénité.
Sur mes toiles, les hommes prenaient conscience que, par leur existence même, ils pouvaient modeler le temps. Dégagés des affres des interrogations identitaires, ils n’essayaient plus d’occulter l’éphémère. Bien que la solitude fût encore présente, l’atmosphère générale de mes tableaux se teintait d’une couleur plus chaleureuse. Suspendus, les songes de mes créatures ne dégageaient plus ce lait vénéneux qui les paralysait jadis au point d’oublier qu’ils étaient vivants.
En outre, je souhaitais que, par ses projections, mon art dépassât la représentation traditionnelle de la nature. Loin de la pensée cartésienne et de la rigueur scientifique, mes œuvres jouaient avec l’inconscient. Peut-être tentaient-elles d’interpréter la nature afin que celle-ci finisse par les imiter… En tout cas, cette nouvelle période tendait vers une réconciliation avec l’Éden mérité. Je ne suggérais plus de cataclysmes. Les êtres humains avaient leur destinée en main. S’ils n’étaient pas à l’origine de l’étincelle de toute vie, ils étaient ceux qui pensaient et agissaient.
Les fonds sombres de mes tableaux étaient traversés d’éclairs traduisant des déserts célestes, lieux privilégiés de méditation. Les poses des personnages se firent plus reposantes et davantage statiques, comme un temps suspendu de réflexion. L’unité de mes toiles conjuguait bien-être et communion. Je n’y représentais plus de damnation, de résurrection, de colères divines et de déluges, signes des fautes de l’humanité. Au contraire, mes personnages, êtres pensants, devenaient l’univers dans une entente avec le cosmos.
Vallobra, critique d’art, découvreur du peintre surréaliste Delvaux, écrivait en 1973 que le fantastique et le dantesque s’affrontent dans l’œuvre, frôlant le surréel que conçoit G. Sabatier. Un souffle évoquant les scènes tragiques bibliques semble départager et disloquer l’homme entre la lumière et les ténèbres. En faisant abstraction de la subjectivité tourmentée de Sabatier et en ne définissant que son objectivité de manière picturale, nous pouvons considérer que ses recherches de décantation et de dématérialisation de la masse et du volume des sujets peints atteignent la transfiguration en ne juxtaposant qu’avec une extrême finesse l’âme des choses.