L’opacité de la vie rendue transparente. Vies parallèles à la vision palpable ou les rêves éveillés devenus réalités.
Peintures à l’huile.
À l’approche de mes quarante ans (je suis né en 1941), un premier bilan s’imposa à moi. Fallait-il que je continue dans une inspiration surréaliste en modifiant continuellement la réalité ? Ou bien devais-je revenir à des interprétations plus proches de la nature ?
De plus, je me confrontais à un autre constat : les préoccupations des artistes de ma génération différaient des miennes. Je m’intéressais à leurs recherches et réalisations, que l’on nomma Art contemporain. Toutefois, elles ne me séduisaient pas au point de rompre avec mes propres imaginaires.
Si l’homme a besoin de repères pour donner une direction à sa vie, j’avais personnellement, et ce depuis longtemps, été impressionné par trois pensées, respectivement de Nietzche, Goethe et Aristote. Nous avons l’art afin de ne pas mourir de la vérité. L’art permet l’accomplissement de tout ce que, dans la réalité, la vie refuse à l’homme. Et L’art est la joie des hommes libres. Je ne craignais donc pas d’être critiqué en déplaçant, dans des univers parallèles, la réalité physique. Je ne la fuyais pas mais la décalais en lui donnant d’autres contours, ou limbes, parsemés de symboles oniriques.
Toujours à l’aise dans mes recherches ésotériques, j’exploitais les rêves afin qu’ils libèrent une énergie créatrice chez mes personnages et aient une profonde résonance chez le spectateur. Mettre en forme ces réminiscences enfouies concourait, en tant que peintre, à devenir simultanément acteur, scène et public.
Épousant mon siècle et son contenu, je me sentais pourtant libre d’esquiver le quotidien en les biaisant. Construire d’autres projections revenait à franchir le Rubicon vers l’interdit et les secrets du Grand Architecte.
Afin de mettre en évidence ces mondes parallèles, j’exploitais les éléments de la nature. Je les redessinais dans des assemblages souvent déformés ou rendus difficilement identifiables. Des architectures verticales ou horizontales composaient fréquemment mes fonds. Des volumes en mouvement, chargés de vie, animaient mes tableaux. Ils dégageaient un univers minéral qui s’agglutinait, éclatait et se restructurait dans l’intention de traduire la phobie des hommes. Par la respiration de leurs songes, mes personnages se projetaient dans d’autres utopies pathologiques. Antidotes à la médiocrité de leur condition, leurs rêves devenaient sources de prolongation de leurs existences en déplaçant leurs désirs vers de nouveaux horizons. Capables de mimétisme, ces êtres n’étaient plus sujets principaux mais parties intégrantes de la nature. Ils pouvaient devenir pierre, arbre ou animal. Ayant atteint un équilibre avec les hommes, la nature s’imprégnait de leur langage et faisait écho à leur présence.
D’un naturel sceptique mais capable d’enthousiasme, j’avais projeté notre condition humaine dans des vies parallèles où chacun aurait pu s’attendre à des mondes meilleurs. Cependant, alors que, par leurs rêves traumatologiques, mes personnages se projetaient dans d’autres réalités, le résultat s’avérait amer. Leurs tentatives de liberté aboutissaient à l’échec. En concevant une Arcadie de plénitude, ils ne rencontraient que de froids et inhumains espaces, telles des impasses. Refusant, à l’instar d’Icare, de se plier à l’ordre établi, ils avaient franchi des paliers d’où ils ne pouvaient revenir. Loin de la lumière, ils se perdaient sur des terres d’errance. Ils voulaient être mais n’avaient trouvé que le vide de leur vie.